La cour d’appel de Montpellier rappelle les limites du conseil juridique réservé aux avocats.
Legaltech : la nullité d’une société pour illicéité de son objet social
Quand l’innovation juridique heurte le monopole du conseil juridique réservé aux avocats
Contexte : les Legaltechs à la frontière du droit
Le développement des Legaltechs transforme profondément l’accès au droit.
Plateformes en ligne, automatisation d’actes, intelligence artificielle juridique… l’innovation bouleverse les pratiques traditionnelles.
Mais cette digitalisation du droit n’est pas sans limites : certaines activités, notamment le conseil juridique personnalisé et la rédaction d’actes sous seing privé, restent strictement réservées aux avocats.
Une récente décision de la cour d’appel de Montpellier (30 septembre 2025, n° 25/00612) en apporte une illustration claire.
Les faits : une Legaltech au cœur du contentieux
En 2018, un avocat crée une SAS proposant du conseil juridique digitalisé et la rédaction d’actes juridiques.
Le Conseil national des barreaux (CNB) estime que cette activité empiète sur le monopole du droit réservé aux avocats.
Malgré plusieurs modifications de façade (changement de nom commercial et de site web), la société conserve le même objet statutaire.
Le CNB saisit la justice, qui prononce la nullité de la société pour illicéité de son objet social.
La décision : un rappel strict des règles applicables
La cour d’appel de Montpellier juge que :
- L’objet social — le conseil juridique digitalisé — est illicite, car il relève d’une activité réservée aux avocats (loi du 31 décembre 1971) ;
- L’illicéité s’apprécie d’après les statuts, non selon l’activité réelle de la société ;
- La modification postérieure de l’objet ne permet pas de régulariser la société : la validité s’évalue au moment de la création ;
- Le président, lui-même avocat, a commis une faute personnelle détachable de ses fonctions et est condamné à verser 1 € symbolique au CNB.
Cadre juridique : avant et après la réforme de 2025
Jusqu’au 1er octobre 2025, une société pouvait être annulée si son objet social était illicite (ancien article 1844-10 du Code civil).
Depuis la réforme du droit des sociétés (ordonnance n° 2025-229 du 12 mars 2025), cette cause de nullité a disparu pour les sociétés nouvellement créées.
Toutefois, exercer une activité de conseil juridique sans être avocat demeure pénalement réprimé (articles 54 et suivants de la loi du 31 décembre 1971, art. 433-17 du Code pénal) :
- Jusqu’à 1 an d’emprisonnement et 15 000 € d’amende pour une personne physique,
- Et 75 000 € d’amende pour une personne morale,
- Avec la possibilité de peines complémentaires : interdiction d’exercer, fermeture d’établissement ou exclusion des marchés publics.
Responsabilité du dirigeant : faute personnelle détachable
Sur le fondement de l’article L. 225-249 du Code de commerce, la cour d’appel condamne le président de la SAS.
Elle considère qu’il a feint de se conformer aux injonctions du CNB tout en maintenant une activité illicite.
Cette attitude constitue une faute séparable de ses fonctions — intentionnelle et d’une gravité incompatible avec la direction d’une société — engageant sa responsabilité personnelle.
En pratique : les enseignements pour les acteurs du droit et les entrepreneurs
- Vérifier soigneusement l’objet social : Un objet statutaire mal rédigé peut entraîner des conséquences graves (nullité, sanctions, perte de crédibilité).
- Distinguer conseil juridique et assistance technique : Distinguer conseil juridique et assistance technique. Les Legaltechs peuvent proposer des outils ou des modèles automatiques, mais sans interprétation juridique personnalisée.
Encadrer les collaborations avocat–Legaltech : Les partenariats doivent être structurés contractuellement, dans le respect de la loi de 1971 et de la déontologie des avocats.
- Anticiper la réforme : Même si la nullité pour objet illicite disparaît pour les sociétés créées après octobre 2025, les risques pénaux et disciplinaires demeurent.
Conclusion : innover sans franchir la ligne rouge
Cette affaire rappelle une frontière essentielle : numériser le droit, oui ; exercer le droit, non.
Les Legaltechs ont un rôle majeur à jouer dans la démocratisation du droit, à condition d’agir dans le respect du monopole des avocats.
Un accompagnement juridique adapté permet d’innover en toute sécurité.